2024-04-19 — 2024-12-13
Chandigarh : une ville au design unique qui se démarque par son organisation et son atmosphère paisible, contrastant fortement avec le chaos des autres villes indiennes. De son plan quadrillé innovant et ses secteurs autosuffisants à l'intrigant Rock Garden et l'imposant complexe du Capitole, Chandigarh offre un mélange fascinant d'architecture et une tranquillité plus que bienvenue.
e n’est pas vraiment la ville indienne typique (si tant est qu’il y en ait une), et elle ne ressemble à aucune autre ville où je suis allé. Selon certaines études, c’est la ville la plus heureuse et la plus riche d’Inde, et de loin. C’est une ville réfléchie, organisée et fonctionnelle — après tout, elle a été conçue comme ça.
Il faut d’abord y arriver. Si, comme nous, vous venez de Delhi en voiture, il faudra d’abord échapper à son attraction gravitationnelle, et passer près d’une petite montagne proche de l’autoroute. Mais, en s’approchant, on remarque sa texture unique et sa forme bizarre, les vautours qui tournoient au sommet. Et là, on comprend : c’est une énorme montagne de déchets. Aussi haute que le Taj Mahal lui-même, des véhicules y poussent les ordures et façonnent la montagne. Des silhouettes humaines sont visibles en haut, cherchant probablement des objets à récupérer.
Ensuite, c’est un ruban d’asphalte qui s’étire à l’infini, presque constamment bordé de bâtiments (difficile de trouver des zones vierges dans le nord de l’Inde, si densément peuplé). On peut faire une pause sur une aire de repos, qui peut être vieille, pas hyper hygiénique, mais populaire ; ou alors flambant neuve, imitant l’architecture “européenne” avec des colonnes, des statues, et beaucoup trop d’éléments disparates.
On avait initialement prévu de loger à l’hôtel, mais après notre expérience à New Delhi et un examen plus attentif des avis, on n’était plus très confiants dans notre choix. À la dernière minute, on a réservé un grand appart sur Airbnb, dans l’un des secteurs du centre-ville, qui pouvait tous nous accueillir.
En approchant de la ville, il n’y a d’abord pas de différence notable avec ce qu’on a vu jusqu’ici. Mais ensuite, en entrant dans la ville proprement dite, la différence est frappante.
La ville est organisée selon un plan quadrillé. Les lignes de la grille sont de larges boulevards / autoroutes, bordées d’arbres et de pistes cyclables. La plupart des bâtiments ne dépassent pas trois étages, ce qui signifie qu’ils sont plutôt bien cachés par les arbres. Ça donne une impression d’ouverture, et le sentiment de ne pas être dans une grande ville.
Ces grandes artères sont reliées par des ronds-points et dessinent des rectangles d’environ 800m sur 1200m. Ce sont les secteurs, l’unité de base de la ville.
Lors de la partition de l’Inde en 1947, la capitale de l’État du Pendjab s’est retrouvée dans ce qui est aujourd’hui le Pakistan ; d’où le besoin d’une nouvelle capitale. Le design a été initié par Albert Mayer, puis repris par Le Corbusier. Ce dernier est responsable du plan en blocs et a conçu de nombreux bâtiments dans toute la ville.
Chaque bloc est pensé comme une unité autosuffisante, contenant logements, écoles, commerces et parcs, ce qui évite aux habitants de longs trajets pour les besoins quotidiens. Au centre de chaque bloc, le long du petit côté, se trouve généralement une rue principale avec tous les magasins, le reste étant plus résidentiel et calme.
La ville elle-même suit un plan inspiré du corps humain — selon Le Corbusier — incluant la tête (le complexe du Capitole dans le secteur 1), le cœur (le centre-ville, secteur 17), les poumons (un long parc quasi continu qui s’étend sur toute la longueur de la ville, bien visible sur la carte ci-dessus), l’intellect (université, etc.) et le système circulatoire (un réseau routier bien défini à travers huit niveaux : V1 sont les plus grandes routes séparant les blocs, jusqu’à V7 en s’enfonçant “plus profondément” dans un bloc).
Notre appart est au dernier étage d’un immeuble moderne au nord du secteur 15. En fait, la plupart des bâtiments ont l’air assez modernes, les rues sont plutôt propres, et l’ambiance est étrangement… paisible, ce qui est un changement très bienvenu pour moi. L’appart lui-même est, eh bien, quasiment parfait. Confortable, impeccable, spacieux, avec tout l’équipement nécessaire ; je m’y sens vraiment chez moi.
Après manger, je sors faire un tour dans le quartier. Le parc au centre de la partie nord du bloc est plutôt relaxant. Il y a très peu de circulation dans ces quartiers résidentiels, pas de rickshaws, on oublierait presque qu’on est en Inde.
Le lendemain, on prend la voiture (ou plutôt, on se fait conduire) vers la tête de la ville, où se trouvent les bâtiments gouvernementaux. L’armée garde la zone et les checkpoints menant aux installations sensibles. Après avoir un peu tourné en rond, on trouve l’office du tourisme, où l’on apprend qu’on ne peut visiter la zone qu’avec une visite guidée… Ce sera pour plus tard, alors.
Mais à quelques pas de là se trouve le Rock Garden. En chemin, A. et moi croisons un groupe d’une vingtaine de jeunes étudiants (on les voit sur la photo ci-dessus). Ils se rassemblent tous autour de nous, nous disent bonjour et veulent nous serrer la main.
Ils demandent à A. de dire quelque chose en hindi. Il hésite un peu, mais finit par le dire, ce qui fait rire tout le monde. Je me demande encore aujourd’hui ce que ce mot voulait dire…
Le prix d’entrée au Rock Garden est le même pour les locaux et les étrangers, ce qui est assez remarquable. Cet endroit a été construit par un fonctionnaire, d’abord en secret, et en utilisant des matériaux de récup’.
Il n’y a qu’un seul chemin à suivre, et il n’arrête pas de tourner, de monter et descendre, comme s’il essayait de faire tenir le plus long trajet possible dans un espace réduit. C’est un lieu vraiment unique et relaxant.
Un peu plus loin du jardin principal, mais toujours dans son enceinte, se trouve une grande place avec plein de balançoires et un musée de poupées. C’est un peu aléatoire, mais encore une fois, relaxant.
Si vous jetez un œil à nouveau à la carte plus haut, vous pouvez voir la tête en haut (logique), un carré vert contenant les bâtiments gouvernementaux. À droite, un plus petit carré vert, contenant le Rock Garden. Encore à droite se trouve le lac Sukhna, qui est en fait un lac de barrage.
La partie sud est une longue promenade pavée avec presque la même sensation qu’une balade en bord de mer. Il y a une zone avec des restaurants, des cafés et des pédalos à louer.
De l’autre côté, le chemin n’est pas goudronné, il s’appelle même Jungle Trail. C’est un peu exagéré, mais on y croise des singes, des paons, une biche et… des poules.
Chaque fois que je suis près de ces singes, ça me met mal à l’aise. C’est sûrement parce que je ne les connais pas et qu’ils ressemblent à de minuscules humains poilus, mais je ne sais jamais s’ils sont juste tranquilles ou s’ils vont essayer de me piquer de la bouffe.
Faire le tour du lac représente une bonne marche. À ce moment-là, je suis toujours seul avec A., et on retrouve les autres près du point de départ, là où il y a les cafés. On décide de louer un pédalo pour une demi-heure.
Pour ça, il faut prendre un ticket à vingt mètres de l’embarcadère, à un premier guichet où l’on dépose une caution de 500 ₹. Ensuite, on échange ce ticket à un deuxième guichet contre une carte électronique, qu’il faut scanner à l’embarcadère, en faisant bien attention à respecter la limite de 30 minutes.
Dès qu’on a le pédalo, on va là où personne d’autre ne va, de l’autre côté d’une petite île, évidemment. Après quelques minutes, on nous dit de revenir de l’autre côté. Comme on ne peut pas faire les choses normalement, on fonce sur les autres pédalos en les bousculant un peu. C’est très drôle pour tout le monde, y compris les victimes1 !
1 : Ils souriaient, je vous jure.
Je suis sûr que les employés chargés de la location nous ont vus, et nous ont probablement même jugés. Mais ils n’ont rien dit.
Dans le secteur 12, on trouve le Collège d’Architecture de Chandigarh. C’est un bâtiment très Le Corbusier : fonctionnel, brut, avec des formes géométriques et beaucoup de lumière.
L’endroit n’a pas l’air prévu pour recevoir des touristes, mais c’est ouvert. Alors qu’on déambule à l’intérieur, la directrice de l’école nous trouve. Elle a la gentillesse de nous ouvrir la salle d’exposition et de nous parler du collège — puis de la polémique sur les meubles originaux vs. non-originaux…
Je trouve l’endroit inspirant, mais aussi troublant par son design brutaliste. C’est clairement un style différent. Dans une des salles, on trouve les nombreuses maquettes faites par les étudiants pour leurs projets.
Dans le secteur 5, autre exemple frappant de l’architecture particulière de la ville, la Maison Jeanneret. Elle a été transformée en musée, bien que l’intérieur soit assez minimaliste.
Partant de l’office du tourisme mentionné plus tôt, nous commençons notre visite guidée. Mais d’abord, chaque passeport est minutieusement vérifié et copié. Ici, l’organisation est discutable, et la ponctualité n’est même pas un concept valable. (Mais tout finit par s’arranger.)
On est censés visiter le Secrétariat en premier. Mais on attend juste là, devant le checkpoint militaire… (Quand des voitures entrent, quelqu’un vérifie le dessous du véhicule avec un miroir. Mais ils ne prennent pas la peine de vérifier le coffre. Intéressant) … et puis finalement, on ne peut pas entrer, parce qu’il y a une réunion. On était pourtant venus aujourd’hui parce qu’on nous avait dit qu’on n’aurait pas pu entrer les jours précédents. On peut seulement le regarder de loin. C’est absolument gigantesque, sa majesté quelque peu diminuée par la présence de nombreux climatiseurs installés un peu n’importe comment.
Prochain arrêt : le Parlement. On doit déposer nos téléphones et nos sacs au comptoir à l’intérieur. En montant deux rampes inclinées, on se retrouve dans une sorte d’entre-deux-mondes. On est dans le bâtiment, mais à l’extérieur de l’hémicycle. L’espace donne l’impression d’avoir été conçu par un designer de parking souterrain qui aurait lu trop de science-fiction à l’époque. C’est immense, principalement vide à l’exception des très hauts piliers (comme sur la photo ici). L’hémicycle lui-même ressemble à… eh bien… c’est… Je vous laisse juger, jetez un œil à ce post Reddit.
Cet endroit commence à me donner une forte impression de 1984, et le reste de la visite n’arrange rien. En quittant le parlement, on monte un peu et on se retrouve sur une immense esplanade en béton vide. Il y a quelques singes et des déchets ici et là.
Ce qui n’aide pas, c’est notre guide. Il n’est guide que dans le sens où il nous montre le chemin ; sinon, il est complètement inutile. Pour chaque lieu intéressant, il donne quelques chiffres (le genre qu’on trouve en une recherche Google) et passe à autre chose. Assez décevant sur ce point, vu l’histoire originale de la ville.
Et pour finir, on nous montre le monument de la Main Ouverte. C’est une icône de la ville, et une représentation de “la main pour donner et la main pour prendre ; paix et prospérité, et l’unité de l’humanité”.
Globalement, je suis déçu par la visite. Difficile d’apprécier un tel lieu sans contexte, ce que le guide n’a pas fourni. Ce n’est pas beau, mais ça aurait été intéressant de savoir pourquoi les architectes l’ont fait comme ça, quel était leur état d’esprit. Je n’ai pas l’impression d’avoir compris cet endroit…
Le reste de l’histoire, c’est beaucoup de repas et un peu de drame…
Il y a une dernière chose. Dans le secteur 17, le centre-ville, il y a une carte de Chandigarh au sol, en métal. Et sur cette carte, on peut voir sa propre représentation. Mais bon, j’adore les cartes, alors vous ne serez peut-être pas d’accord sur à quel point c’est cool…