2024-02-18 — 2024-12-13
Je raconte mon voyage chaotique de Goa à Aligarh, entre arnaques de taxi et pollution écrasante à Delhi, tout en réfléchissant aux contrastes saisissants entre mon vécu et le quotidien des habitants.
a dernière fois, j’ai compris qu’un long voyage en solo en Inde ne serait pas une partie de plaisir pour moi. Aujourd’hui, direction Aligarh. Mon ami A et sa femme M (noms masqués) sont dans la famille de M à Aligarh, une « petite » ville (1 million d’habitants) au sud-est de Delhi. Première étape, donc : prendre l’avion pour Delhi.
En fait, non. La première étape, c’est d’abord d’aller à l’aéroport. À ce stade, je n’ai toujours pas de SIM indienne, donc impossible d’utiliser les applis comme Uber ou Ola (qui, de toute façon, ne fonctionnent pas dans la région de Goa). Résultat : je dois passer par la réception. Sachant que j’avais payé 2300 roupies pour aller de l’aéroport de Dabolim à Agonda, j’insiste pour ne pas dépasser 1000 roupies pour le trajet de Margao à l’aéroport. Mais le type de la réception refuse de négocier et m’en demande 1300, en soutenant que « c’est le prix normal », ce qui est faux, je le sais. Sauf que je n’ai pas vraiment le choix. J’accepte et je file au distributeur.
Le taxi arrive, et le réceptionniste exige d’être payé d’avance… Ça sent mauvais. À peine une minute de trajet, et le chauffeur me demande combien j’ai payé.
« Je leur ai donné 1300 », je réponds.
« Ils m’en ont donné 600 », dit-il.
Nouvelle leçon ! Si le prix n’est pas clairement affiché1, partez du principe qu’on essaie de vous arnaquer.
Sur l’autoroute, un camion chargé de cartons. Posés sur les cartons, deux hommes, l’un assis, l’autre allongé, visiblement pas du tout perturbés par leur situation précaire.
Quand vous prenez l’avion, on vous demande votre carte d’embarquement combien de fois ? Deux fois, peut-être ? Pas à l’aéroport de Dabolim. Ici, c’est plutôt… sept fois. Sept, ça doit être leur chiffre porte-bonheur, non ?
Si seulement ils prenaient la sécurité routière aussi au sérieux.
Le vol dure environ deux heures. La visibilité est masquée par une épaisse couche de pollution.
Pendant l’approche, je réalise la taille de cette ville. Elle est gigantesque. Voici le Jawaharlal Nehru Stadium.
Quand je sors du Terminal 2 de New Delhi, la pollution est suffocante.
Mission n°1 : trouver un masque N95. Facile, et je sens vraiment la différence quand je le porte.
Mission n°2 : trouver une carte SIM. Je demande à des employés, leurs réponses sont soit fausses, soit floues, et dans tous les cas parfaitement inutiles. Je n’en trouverai probablement pas en dehors du Terminal 3, et y entrer serait compliqué… Mission avortée.
Mission n°3 : trouver un taxi pour Aligarh. Ça a l’air simple, mais ça ne l’est pas.
Au rez-de-chaussée du parking à étages en face du Terminal 3, il y a deux comptoirs pour les taxis VTC : un pour Uber, un pour Ola. J’essaie d’abord Uber. La fille au comptoir partage gentiment sa connexion mobile pour que je puisse utiliser l’appli. Ça ne marche pas : toutes les courses que je réserve sont annulées.
Essayons Ola, alors, l’autre appli VTC populaire ici. Je dois recevoir un code OTP sur mon téléphone pour m’inscrire. Je ne le reçois jamais, sans doute parce que ce n’est pas un numéro indien. Retour à Uber. Cette fois, la fille appelle le chauffeur avant que ma course soit annulée et me conduit à la voiture (une bonne chose, vu le nombre de voitures, le fait qu’on ne sait pas du tout où aller, et les klaxons incessants, même ici).
Mais c’est bon, j’ai fini par trouver un chauffeur. Il attendait en discutant avec un ami quand je suis monté. Il me demande de confirmer que je vais bien à Aligarh, et tous les deux sourient quand je dis oui, en parlant en hindi… Je me demande encore pourquoi (peut-être parce que ce n’est pas du tout une ville touristique, et qu’elle est à trois heures de New Delhi).
À Goa, en vérité, je n’avais rien vu. Ici, par contre, le chaos atteint un tout autre niveau, presque cosmique, inimaginable tant qu’on ne l’a pas vécu. La circulation est démente, la pollution extrême, et le bruit des klaxons constant. Les mots ne suffisent pas à décrire ça. Au moins, ici, plus de gens portent un casque.
La nuit tombe. On voit des étals avec quelques fruits installés devant des gratte-ciels étincelants. Un type fait du vélo le long de l’autoroute, avec en arrière-plan des panneaux publicitaires pour des appartements de luxe.
Deux fillettes qui se courent après en plein milieu d’une route à quatre voies, et un peu plus loin, d’autres à vélo. Elles doivent avoir huit, peut-être dix ans tout au plus.2
Des enfants qui respirent la pollution dans un vieux bus, le regard vide. Et puis il y a moi, dans mon taxi, isolé avec mes AirPods, mon iPhone et mon masque.
C’est une sensation étrange, vraiment. Cet environnement est tellement différent de ce à quoi mon cerveau est habitué qu’il passe son temps à faire des prédictions… qui échouent lamentablement. Après une heure passée juste à sortir de Delhi, un peu de calme sur l’autoroute. La dernière partie se fait sur une longue ligne droite qui traverse quelques villes que je qualifierais de folkloriques, sans en dire plus.
Comme vous pouvez l’imaginer, je suis assez épuisé en arrivant à Aligarh et en retrouvant enfin A, M et sa famille. Ça fait du bien de voir des visages familiers. J’ai l’impression d’être là depuis une éternité, alors que cinq jours seulement se sont écoulés depuis le début du voyage.
Au moment de payer le chauffeur, il me demande plus d’argent que ce qui était affiché sur l’appli. Je ne comprends pas. J’apprendrai plus tard que ça correspond à la taxe à payer quand on change de région avec un véhicule de tourisme.
La famille de M est assez curieuse de savoir pourquoi j’étais si pressé de venir voir A et M. J’explique du mieux que je peux, mais ils n’arrivent pas vraiment à comprendre – forcément, ils vivent ici et tout ce que j’ai vécu jusqu’à présent est parfaitement banal pour eux. Comment expliquer avec des mots la différence radicale entre leur pays et le mien ? C’est difficile à saisir sans l’avoir vécu.
Je discute avec M sur le toit. Quand je lui demande ce que ça lui a fait de quitter l’Inde pour l’Europe, elle raconte qu’elle s’était habituée à tout ça, mais qu’en arrivant en Europe, elle s’est sentie soulagée, comme si un poids lui avait été enlevé. Elle pouvait sortir dans la rue sans craindre que ce soit la dernière fois qu’elle voie sa famille. C’était la vie dont elle avait rêvé.
Le bruit ne s’arrête pas la nuit, et la chambre où je loge donne sur la rue. Bien sûr, j’ai des bouchons d’oreilles, mais même avec, j’entends les chiens qui aboient et les camions qui klaxonnent (chacun avec sa mélodie personnalisée, pour mon plus grand plaisir). En m’endormant, je rêve de la route… et de klaxons.
Prochainement : partie 3